13/07/2012

Jules Verne, voyageur extraordinaire

L'auteur des Voyages extraordinaires entre dans la Pléiade. Rappelons, à cette occasion, qu'il a vraiment voyagé!  
Casanier? Jules Verne a quitté l'Hexagone plus d'une fois et entrepris de nombreuses croisières sur trois voiliers successifs.

Certaines réputations vous collent à la peau. Prenez Jules Verne : on a toujours imaginé l'auteur des Voyages extraordinaires en brave père de famille, enfermé dans son cabinet de travail amiénois, n'en sortant que pour éplucher des récits de voyages à la bibliothèque municipale. Cette légende, colportée de longue date, a fait dire à certains que l'homme n'avait jamais voyagé - lui qui avait pourtant fait aimer la géographie à des millions d'enfants. 
En réalité, même si Verne était bien, en effet, un rat de bibliothèque et un bourreau de travail ("Je suis une bête de Somme", écrivait l'amateur de calembours), il a quitté l'Hexagone plus d'une fois et entrepris de nombreuses croisières sur les trois voiliers successifs acquis avec ses droits d'auteur. Comment aurait-il pu en être autrement quand on a vu le jour dans un port (celui de Nantes), plus précisément sur une île de la Loire, l'île Feydeau ? Cette particularité géographique pourrait expliquer sa passion d'enfant pour les "robinsonnades". La lecture de Daniel Defoe, mais aussi du Robinson suisse (de J.R. Wyss) à l'âge de douze ans marqua durablement le jeune Verne. Sa fascination pour les îles, son intérêt pour les naufrages reviennent dans la plupart de ses romans : L'Oncle Robinson, L'Ecole des Robinsons, Deux ans de vacances, Le Chancelloret L'Ile mystérieuse
Mais, avant la lecture, il y a, bien sûr, le décor personnel, l'atmosphère d'une ville natale. 
La devise de Nantes, Favet Neptunus eunti (Neptune favorise ceux qui voyagent), est en soi une invitation au départ. La cité de la duchesse Anne, à l'époque de Verne (né en 1828), n'a pas grand-chose à voir avec la ville de Jean-Marc Ayrault. C'est un port négrier, où s'agitent les mâts des grands voiliers. La mère de Jules Verne, Sophie Allotte de la Fuÿe, est issue d'une famille d'armateurs et de navigateurs. L'enfant, à l'âge de six ans, est mis en pension chez la veuve d'un capitaine au long cours. Sa première prose publiée sera consacrée - doit-on s'en étonner ? - aux premiers navires de la marine mexicaine. 
Tout cela, nous l'apprenons grâce au passionnant texte de Jean-Luc Steinmetz qui introduit les deux volumes Jules Verne récemment parus dans la Pléiade.  
Ainsi, la chronologie établie pour cette édition - mais aussi le bel album concocté par François Angelier à cette occasion - permet de réaliser l'influence des voyages personnels de Jules Verne sur les Voyages extraordinaires.  
En 1836, "il éprouve ses premières impressions maritimes sur un trois-mâts à Provins". La même année, deux de ses cousins meurent noyés dans la Loire. Malgré cela, dès l'année suivante, le petit Jules prend une barque pour "robinsonner" sur l'île Binet, racontera-t-il dans Souvenirs d'enfance et de jeunesse. Autre épisode fondateur, souvent rappelé par ses biographes : en 1839, il fugue et embarque, en tant que mousse, sur un long-courrier en partance pour les Indes... Rattrapé par son père le jour même, il ne verra jamais l'Asie. Mais rêvera de prendre la mer dès fortune faite.  
En 1849, Verne entreprend un petit tour de la proche Europe : Belgique, Suisse, Allemagne. En 1851, il rencontre l'explorateur Arago, qui deviendra son chaperon et lui relatera souvent ses voyages.  
En 1863, après dix ans de tâtonnements, l'écrivain atteint sa pleine "conscience romanesque", selon Steinmetz, avec Cinq semaines en balon. Mais bien avant cela, dès Les Aventures du capitaine Hatteras, "son projet est de décrire l'ensemble du monde. C'est un projet essentiellement géographique, alimenté par les ouvrages scientifiques, les grandes revues de l'époque comme Le Tour du monde, ses amitiés avec Nadar et Arago et son expérience réelle du voyage, qui le mène assez vite très loin, aux Etats-Unis". En effet, Verne embarque en 1867 avec son frère sur un impressionnant paquebot, le Great Eastern, qui le conduit à New York. Il en profite pour visiter les chutes du Niagara "qui inspireront plusieurs scènes de ses livres...", précise Steinmetz. Quant au souvenir du paquebot lui-même, il donnera naissance à Une ville flottante.  
Il pousse l'aventure plus loin : pendant la guerre de 1870, en tant que propriétaire d'un navire (le Saint-Michel I), il est chargé de la surveillance des côtes picardes.  
En 1876, l'écrivain dessine lui-même les plans du Saint-Michel II, un yacht de vingt tonneaux qu'il inaugure sur la Manche. "D'autres croisières sur ses yachts le mèneront en Angleterre, en Ecosse, en Norvège, au Danemark, raconte Steinmetz. Il met la main à la pâte, il connaît la navigation. Dans ses textes sur la mer, il a cette précision des hommes du métier. Une précision mécanique, presque industrielle." Quant à sa croisière de trois mois en Méditerranée (Gibraltar, Espagne, Portugal, Sicile, Tunisie, Malte, etc.), elle inspirera entre autres romans L'Archipel en feu, Mathias Sandorf (hommage au Monte-Cristo de Dumas) ou encore Mirifiques Aventures de maître Antifer.  
Ce n'est pas un hasard si les quatre titres choisis pour l'édition en Pléiade sont, justement, des romans maritimes. Vingt mille lieues sous les mers fut d'ailleurs en partie écrit à bord du Saint-Michel, que Verne appelait son "cabinet de travail flottant". Il s'amusait même à gagner Paris à la voile, partant de sa maison du Crotoy pour remonter la Seine et mouiller au pont des Arts.  
Jules Verne fut non seulement un maître parmi les écrivains mais également, il serait temps de le reconnaître, un "étonnant voyageur".  
Sa postérité, ses pairs se chargèrent de la répandre, bien avant la critique littéraire et les universitaires : Rimbaud s'inspira du Nautilus pour son Bateau ivre, Jean Cocteau fera son propre tour du monde en quatre-vingts jours et la Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars rendait hommage aux "saltimbanques de Jules Verne".  
Tous les écrivains qui, enfants, ont découvert la lecture - et le monde - grâce aux Voyages extraordinaires ont une dette éternelle envers lui. 

Jules Verne dans la Pléiade

Evénement éditorial, cette parution - bien tardive pour les verniens - marque la reconnaissance littéraire définitive d'un auteur populaire universel, trop longtemps cantonné au rôle d'écrivain "pour la jeunesse" - comme le fut, en son temps, son ami Alexandre Dumas. Parmi les réussites à saluer, la publication des textes avec leurs (nombreuses) illustrations d'origine, "véritables fenêtres sur la surréalité des textes", comme l'explique le maître d'oeuvre Jean-Luc Steinmetz, à qui l'on devait déjà l'édition en Pléiade de Lautréamont.
Une édition en 32 volumes n'étant pas raisonnable, que choisir parmi les 62 ou 64 ouvrages de la seule série des Voyages extraordinaires ?  
On pourrait s'étonner, bien sûr, de l'absence du Tour du monde en 80 jours, ou d'autres classiques tels que Voyage au centre de la Terre, Michel Strogoff ou Les Indes noires... L'idée retenue - plutôt ingénieuse - fut de publier l'unique "trilogie" de l'oeuvre : Les Enfants du capitaine Grant, Vingt mille lieues sous les mers et L'Ile mystérieuse. A savoir un tour du monde en bateau, un "opéra" sous-marin et la reconstitution d'une civilisation par des naufragés.  
La réunion de ces romans trouve sa cohérence dans le "retour" de certains personnages. Notamment Nemo, capitaine du Nautilus puis "hôte secret" de l'île mystérieuse. 
A ces trois ouvrages s'ajoute Le Sphinx des glaces, chef-d'oeuvre méconnu des dernières années, suite donnée au Arthur Gordon Pym d'Edgar Poe. L'action se situe au pôle Sud, où Nemo, encore lui, planta son drapeau...  
Avec ce choix, l'intention était de démontrer que "Verne est un grand écrivain, par son style, son sens de la composition, ses prophéties et l'importance donnée à l'imaginaire", explique Steinmetz. Réalisée par des connaisseurs passionnés, cette édition franchement réussie y parvient.